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Fatalité
18 juin 2008

Folie nocturne

[Alors voici une petite nouvelle toute poussiéreuse (déjà un an et quelques que je l'ai écris) inspirée par les légendes celtiques (et oui à l'époque j'écoutais du Manau!). Le personnage principale est une jeune apprentie-druidesse du nom de Fant. Je doute poursuivre un jour... par contre elle m'inspire beaucoup et un de mes derniers dessins la représente plus ou moins. Enfin, place au texte...]

Je la sentais bondir à mes côtés, si gracieuse qu’elle se fondait dans la nuit. Je peinais à la suivre au travers des racines et des branchages. Malgré toute l’agilité développée par mes éternelles escapades nocturnes ainsi que ces heures passées à courir en sa compagnie, je ne l’égalerai jamais, nous le savions l’une comme l’autre.
C’est pourquoi à l’approche de la petite cascade, je la sentis ralentir et pus enfin distinguer sa silhouette accroupie sur la berge de notre refuge secret.
La rejoignant, j’humai la fraîcheur de cette première soirée d’automne mêlée aux effluves végétales des feuilles colorées et des dernières fleurs. Elle se rapprocha en quelques pas et se frotta affectueusement contre mes jambes. Je pus alors effleurer du bout des doigts sa douce fourrure avant de m'asseoir sur un rocher.
Je délaçai mes sandales et les déposai dans l’herbe fraîche pour tremper mes pieds meurtris dans l’eau froide. Bientôt, dans quelques temps, elle deviendra glaciale et toute baignade serait folie jusqu’au retour de la douce saison.
Mes muscles se détendirent au contact du liquide limpide tandis que le clapotis cristallin du court d’eau s’insinuait dans ma conscience, la soulageant de cette journée passée et de son lot de soucis. Après les sandales, je dénouai ma tunique et m’immergeai entièrement dans le ruisseau vivifiant sous son regard perçant. Je frissonnai malgré moi.
Sur la rive, derrière, je la savais rôder pendant que je faisais trempette, ni trop loin ni trop proche de cette eau qu’elle n’appréciait guère.

Soudain, je la sentis se figer, aux aguets. Je l’imitai et cessai de lutter contre le faible courant pour me hisser sur la terre ferme. Tendant l’oreille, je perçus en même temps qu’elle l’intrus.

« Dans le buisson, à gauche. »

Une pensée, simple, claire et nette dont elle seule en a le secret. J’approuvai silencieusement ce que mon ouïe m’avait aussi indiqué. Mais qui pouvait donc bien se cacher dans les bois pour observer les jeunes femmes se baigner en pleine nuit?
Dans une prise de conscience subite suivie d’un élan de pudeur je me penchai pour me draper à la hâte de ma tunique humide et salie par le sable.
Reprenant quelque peu contenance, je me redressai et scrutai les profondeurs touffues de l’arbuste.

« Montrez-vous! » Criai-je, à l'adresse du buisson avec un soupçon d'agacement.

Elle feula, toute proche, faisant écho à mes pensées. Il faut dire que dans ces moments je n’arrivais qu’avec beaucoup de difficulté à distinguer la limite de mon esprit et du sien. À première vue, la différence était pourtant évidente, mais cependant insuffisamment pour ma conscience embrumée.

Il y eut ensuite une secousse sourde, suivie d’un élancement de douleur. Et puis plus rien, le vide noir total.


J’écarquillai les yeux alors que les brumes se dissipaient. Un coup d’œil aux alentours m’apprit que je n’avais pas quitté la forêt, dont je pouvais voir la cime jaune clair des arbres ayant revêtu leurs couleurs automnales.
Je me redressai et tâtai ma tête où déjà se développait une enflure respectable. Dans le ciel, la pleine lune était toujours haute et étincelante derrière un mince voile de nuage.

Alors seulement m’apparut l’élément manquant : elle n’était pas là. Je me retins pour ne pas paniquer; l’avait-on enlevée? Je retirai tout de suite cette pensée absurde, personne ne penserait jamais à lui faire le moindre mal. Que nous voulait-on sinon? Je me retournai…

…et je les vis. Derrière moi, de toute leur hauteur, se dressaient trois êtres. Des humanoïdes d’une irréelle beauté se tenaient entre les pins, deux hommes psalmodiant de tribales prières encadrant une femme d’une taille étonnante. Le trio était uniquement vêtu de blanc et les traits de leur visage étaient emplis de douceur et de bonté où l’on ne retrouvait nulle trace de haine ou quelconques intentions belliqueuses, malgré les armes pendant à leur ceinture.

« Tuatha dé Danann », murmurai-je, sans le vouloir. Les mots avaient franchis d’eux-mêmes mes lèvres, s’imposant à mon esprit. Se pourrait-il que se trouve devant moi ces anciens Dieux de notre terre?

La seule représentante féminine se détacha du groupe et s’avança avec grâce à ma rencontre, la paume tournée vers le ciel et le bras pâle et délicat tendu à mon encontre.

« Fant…n’oublie pas. Suis le chemin, il croisera celui de Setanta. N’oublie pas… »

Ma vue se brouillait à nouveau alors que la voix répétait incessamment ces incompréhensibles paroles. J’aurais voulu lui répondre, lui demander de m’expliquer, de se taire…

« N’oublie pas… »

Puis tout redevint noir.

 

***

 

Cette fois j’ouvris les yeux pour de bon, sur notre réalité. Mes courbatures au dos et mon mal de tête étaient par contre bien trop réels à mon goût. Je grimaçai en m’asseyant à même le sol de terre battu. Passant ma main dans mes cheveux sombres, je la retrouvai poisseuse, engluée dans un liquide rougeâtre que je ne reconnaissais que trop bien.

« Ah, je n’avais pas vu que tu étais réveillée, grommela une voix masculine dans mon dos.

-Dagan! » M’écriai-je en apercevant le vieux druide. « Si, je viens à peine. »

J’observai alors la pièce mal éclairée dans laquelle je me trouvais. Par une unique fenêtre, je pouvais voir le ciel toujours obscur et la lune brillante. Silencieuse n’était pas là, elle devait être restée dans la forêt.

« Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivée de grave, » songeai-je.

Comme il faisait sombre, je ne distinguais d’autre que l’âtre dans un coin où bouillait une petite marmite de cuivre dégageant une apaisante odeur de tisane.

« Écorce de saule et tilleul, énonçai-je en reconnaissant leurs arômes familières.

-Tu en veux?

-Bien sûr. »

Je m’arrêtai pour observai les braises tandis qu’il ôtait le chaudron du feu et en versait son contenu dans deux petits bols. Il le remit en place avant de venir me rejoindre.

Je ne pus résister plus longtemps et lui posa cette question qui me hantait.

« Que c’est t’il passé dans les bois, je veux dire, est-ce vous qui m’avez assommé?

-Oui, » dit-il simplement.

Je faillis m’étouffer avec la boisson brulante. Reposant le bol, je toussotai avant de le dévisager.

« Mais pourquoi? »

Je le vis secouer la tête, sa longue chevelure blanche se balançant de droite à gauche. Il en écarta quelques mèches emmêlées obstruant sa vision, s’éclaircit la gorge et répondit.

« Tu ne devrais pas t’aventurer seule dehors, surtout pas la nuit, et surement pas avec les temps qui courent. »

Devinant qu’il faisait référence à l’union d’Azenor et Iwan, je le relançai.

« N’esquivez pas la question.

-Je ne me défile pas, je t’explique.

-Alors poursuivez.

-C’est ce que j’aurais fait si une petite impertinente ne m’avait pas interrompu. »

Il soupira, faussement exaspéré. Je rougis, embarrassée comme lorsque je n’étais qu’une gamine. Le vieil homme m’adressa un sourire complice avant de reprendre.

« Ils rôdaient et tu te trouvais droit sur leur chemin. Je ne sais pas se que tu serais devenu sans mon intervention… »

Je souris devant ces paroles vaniteuses, son orgueil ne s’améliorait pas avec l’âge.

« …et ce que dirait Edwina si elle apprenait ton escapade nocturne… »

Sur ce point, il avait raison. Mère ne pourrait qu’en être inquiète et offusquée. Elle ne manquerait pas de s’apitoyer sur les instincts rebelles de sa cadette et avant le lever du soleil le clan tout entier serait au courant.

« …mais bien sûr elle ne le saura pas. »

Sursautant, je le gratifiai d’un sourire chaleureux empli de reconnaissance.

« Encore dans la lune je suppose. Ah les jeunes, que deviennent-t-ils de nos jours? » grogna-t-il dans sa barbe tout en rapportant des deux bols vide sur la grossière table de rondins. « Et maintenant ouste si tu veux préserver notre secret! »

Je ne me le fis pas dire deux fois et époussetant ma tunique, je sortis sous les premières lueurs de l’aube.

 

D’un bon pas, je traversai le village silencieux, passant successivement devant la place publique, le puits, et pour terminer notre petite chaumière typique aux murs de pierres et au toit de chaume. Derrière, je pouvais tout juste apercevoir l’imposante palissade délimitant le village et derrière encore les cimes des premiers grands pins. J’inspirai profondément les odeurs naturelles des du cèdre et du bouleau, portés jusqu’à moi par le vent, et je cru y déceler cette senteur particulière, différente de celle des autres habitants de la forêt. Elle devait rôder à la lisière. Je lui manquais, et elle était tout aussi désorientée que moi.

À regret, je me détournai de la forêt enchanteresse. Je ne pouvais rien faire pour elle en ce moment, moi-même aussi perdu. C’est pourquoi je lui promis, si Edwina relâchait quelque peu sa surveillance, que je lui rendrai visite à nouveau se soir même, dès que la lune se serait levée. J’espérai au fond de mon cœur qu’elle m’eu entendu. Aussi silencieusement que me permettais ma taille, je rentai dans la maison familiale en poussant la large porte de bois, qui ne manqua pas d’émettre son habituel grincement de protestation. Je m’arrêtai un instant, le temps de m’assurer que personne ne l’avais entendu, et je pénétrai à la manière d’un voleur dans notre modeste demeure.

[Fant devint plus tard une grande druidesse, avant de croiser le chemin d’un jeune homme prénommé Setanta; mot celtique signifiant « chemin », lequel était destiné à devenir le grand Cúchulainn.

En pleine terre d’Ulster, durant le cycle de la branche rouge.]

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